MNÁ NA hÉIREANN
Femmes et Musiques en Irlande



Un ami Irlandais et musicien m’expliquait un jour une théorie fort répandue dans les milieux artistiques masculins : les femmes, disait-il, sont par essence les créatrices et procréatrices de l’espèce humaine ; les hommes ne sont, en revanche, que d’insignifiants contributeurs tout juste bons à initier un processus. Architectes et cuisiniers, écrivains et musiciens, tous semblent victimes du même syndrome, tous souffrent. Oubliant qu’en Irlande comme ailleurs, berceuses et chants funèbres furent de tout temps l’apanage des femmes, accompagnant nos vies du berceau au cercueil, il justifiait ainsi l’apparente pénurie de personnages féminins dans l’histoire des arts en général, et de la musique en particulier.

La scène se passait en 1986. En 1992, le disque le plus vendu en Irlande fut « A Woman’s Heart », compilation de chanteuses irlandaises et, surtout, réussite commerciale d’une maison de disques flairant les thèmes porteurs . Les grandes figures (Mary Black, Dolores Keane), et les petites nouvelles très prometteuses (Sharon Shannon, Eleanor MacEvoy) ne sauraient, en effet, masquer le principal défaut d’un album techniquement parfait : que sont devenues Máire Ní Bhraonáin (chanteuse de Clannad), Enya (soeur de la précédente), Sinéad O’Connor, Mary Coughlan, Mairéad Ní Mhaonaigh, Nóirín Ní Riáin, pour ne citer qu’elles ? Car les musiciennes irlandaises sont infiniment plus nombreuses qu’on ne pourrait l’imaginer : aucun domaine ne semble d’ailleurs privilégié, car si les représentantes du style pop-folk viennent immédiatement à l’esprit du grand public irlandais, la musique classique, le jazz, le rock ou le traditionnel ont également leurs porte-parole : leurs interviews inondent le s magazines musicaux, et les émissions de télévision les accueillent d’autant plus volontiers qu’un tel phénomène fait partie intégrante d’une revitalisation de la musique traditionnelle en Irlande depuis le début des années soixante. Nous nous efforcerons, dans cet article, d’examiner le rôle des femmes au sein des trois grands courants musicaux (la musique traditionnelle, la musique classique et le rock-pop), ainsi que les implications sociales disparates des instruments, de la danse et du chant.

Alors que le monde occidental et musicien voit en Sainte Cécile sa patronne, les harpistes d’Irlande tendent à lui préférer le Dagda, dieu-druide des Tuatha Dé Danann et deuxième personnage du panthéon irlandais, dont la harpe magique renfermait toutes les mélodies. La fonction de druide-harpiste (cruitire) étant inaccessible aux femmes, si ce n’est réduite à celle de prophétesse (banfáith) ou de poète (banfile), l’absence de musiciennes dans les récits mythologiques irlandais ne saurait surprendre. Soulignons cependant que Brigit, l’unique divinité féminine celtique, est considérée comme la mère de tous les filid (les poètes d’Irlande) et plus particulièrement des trois frères Goltraiges, Gentraiges et Suantraiges, dont les noms désignent les trois modes musicaux régissant, en théorie, la musique traditionnelle en Irlande : le sommeil, la joie et la tristesse.

La harpe irlandaise est donc, à l’origine, un instrument foncièrement masculin. On sait, à titre d’exemple, qu’une seule femme, Rose Mooney, participa aux dernières grandes rencontres de harpeurs traditionnels, à la fin du XVIIIe siècle . Une telle affirmation surprendra les coutumiers d’un syndrome aujourd’hui si familier, la belle harpiste en robe longue ; il faut peut-être voir là l’influence d’une vision aristocratique de la musique classique : celle-ci transforma à son tour la harpe celtique en instrument féminin lors du regain d’intérêt qu’elle suscita à la fin du siècle dernier, puis à l’heure de sa renaissance mondiale, vers le milieu du XXe siècle. Par une élégante mutation de la tradition, les harpistes femmes sont donc beaucoup plus nombreuses aujourd’hui que leurs homologues masculins en Irlande, l’exemple le plus évident étant sans doute Máire Brennan, chanteuse mais également harpiste de Clannad depuis plus de 20 ans et originaire du Donegal ; Gráinne Yeats est une harpiste de formation classique dont les recherches ont cependant grandement facilité le développement de la harpe celtique ; Janet Harbison dirige aujourd’hui le Belfast Harp Orchestra, lui-même essentiellement composé de femmes, après avoir remporté le titre de All Ireland Champion en musique traditionnelle pour harpe, un titre disputé par des centaines de musiciens chaque année et attribué par le Comhaltas Ceoltóirí Éireann, organisme chargé de promouvoir la musique irlandaise depuis 1951, avec l’appui du gouvernement. Máire Ní Chathasaigh, harpiste surdouée originaire de Cork, sillonne le monde au sein de diverses formations classiques et tradition nelles, démontrant ainsi son adaptabilité hors du commun ; Kathleen Loughnane recherche les convergences entre musiques traditionnelle et baroque avec le trio Dordán ; enfin, Emer Kenny, jeune harpiste de talent, pourrait s’imposer dans les années à venir. Une telle féminisation, en partie propagée par les médias, semble aujourd’hui suffisamment ancrée dans nos habitudes pour perdurer.

Le second instrument ornant les récits épiques, et donc historiquement symbolique de l’Irlande, est la cornemuse, mentionnée dès le Ve siècle dans l’ancien droit gaélique (le droit Brehon) et sans doute très proche de la grande cornemuse écossaise actuelle ; instrument essentiellement militaire à l’origine, il ne pouvait, de ce fait, être joué par les femmes. La version moderne de la cornemuse irlandaise (le uilleann pipes) date du XVIIIe siècle. Bien que rapidement débarrassée de ses implications militaires, elle continua de n’être jouée que par des hommes et les archives ne recèlent que bien peu de noms ou de photos d’uilleann pipers féminins célèbres.

La flûte traversière semble avoir fait son entrée en musique traditionnelle irlandaise au début du siècle dernier, principalement dans les zones urbaines, lorsque les musiciens classiques optèrent pour la flûte en métal inventée par Boehm, vendant à des prix dérisoires leurs instruments en bois aux musiciens traditionnels qui délaissèrent ainsi la célèbre petite « flûte irlandaise » en métal, ou tin-whistle. Bien que couramment utilisée par les femmes de nos jours, elle demeura longtemps un instrument essentiellement masculin : de nombreux chercheurs estiment en effet que le succès de la flûte en Irlande est dû en grande partie aux fanfares, souvent dirigées à l’origine par d’anciens officiers de l’armée britannique : le répertoire étant essentiellement composé de marches (jouées sur des fifres, puis sur des flûtes) et le style éminemment militaire, les femmes n’y étaient bien évidemment pas admises. En outre, la flûte eut longtemps la réputation de ne pouvoir être jouée par des f emmes tant la capacité thoracique était un élément déterminant ; on sait aujourd’hui qu’une mauvaise flûte requiert effectivement de plus grands poumons, mais les bons instruments, courants et guère onéreux de nos jours, permettent à toute personne motivée de jouer...loin de stériles polémiques. Les nouvelles générations nous ont d’ailleurs offert très récemment des virtuoses tels que Eithne Ní Uallachain, jeune moitié du duo Lá Lugh (avec Gerry O’Connor), ou Deirdre Havlin, autre jeune prodige, originaire d’Irlande du Nord et membre du groupe Déanta ; citons également Joannie Madden, flûtiste traditionnelle (sur flûte à clés et en métal) et membre du groupe américain exclusivement féminin Cherish The Ladies ; on ne pourrait, enfin, passer sous silence le tin-whistle ainsi que les noms de Mary Bergin (du groupe Dordán, et ex-Castle Ceilí Band), de Áine Úi Cheallaigh ou de Geraldine Cotter, auteur d’une méthode pour cette petite flûte généralement sous-estimée, et ne bénéficiant donc pas d’un e très forte image : le tin-whistle reste aujourd’hui l’instrument le plus acheté en raison de son prix extrêmement raisonnable, bien qu’un tel avantage se transforme rapidement en inconvénient, tant son image ne semble pas valorisante : les jeunes musiciens le délaissent d’ailleurs souvent au profit du uilleann pipes ou de la flûte traversière.

Le violon est le quatrième instrument utilisé depuis suffisamment longtemps pour que lui soit conféré sans hésitation le titre de traditionnel ; il s’appelle dans ce cas fiddle, ce qui constitue d’ailleurs la seule véritable différence avec le violon classique. Ses représentantes irlandaises sont aujourd’hui extrêmement nombreuses, au point qu’elles lui sont, ici encore, souvent associées. Pas de grandes vedettes parmi elles, bien que beaucoup aient été influencées par Julia Clifford d’une région à forte tradition musicale : le Slieve Luachra, dans les montagnes entre les comtés du Kerry et de Cork. Parmi les plus jeunes, citons Mairéad Ní Mhaonaigh, du Donegal, chanteuse et fiddler du groupe Altan, sans conteste l’un des tout meilleurs groupes irlandais des années quatre-vingt-dix. Citons également Máire Breathnach auteur de plusieurs albums solo, ainsi que Nollaig Casey, originaire de Cork et de formation classique, qui sut transformer en avantage ce qui constitue le plus souvent un handicap dans l’esprit des musiciens traditionnels. Elle parvint même à être couronnée All Ireland Champion de fiddle avant d’avoir atteint ses dix-huit ans. Nollaig Casey est également une grande violoniste classique et a fait partie de l’Orchestre Symphonique de la Radio-Télévision.

Bien que souvent considéré comme éminemment français, l’accordéon est l’un des instruments les plus pratiqués en Irlande depuis quelques décennies. Tous les observateurs reconnaissent, ici encore, que les adeptes féminins de l’accordéon chromatique sont rares : elles sont par contre beaucoup plus nombreuses à jouer de l’accordéon diatonique, voire du concertina, souvent considéré comme dévalorisant par les hommes. La raison la plus couramment avancée pour expliquer ces choix concerne le poids de l’instrument : une telle justification fera sourire qui connaît la virtuosité de Sharon Shannon, cette très jeune accordéoniste (et violoniste) découverte au sein de Arcady et des Waterboys, défunt groupe écossais aux tendances folk-rock. Sa position actuelle dans la musique irlandaise est telle que Gay Byrne, animateur d’une des grandes soirées télévisées irlandaises (« The Late Late Show », débats et variétés) lui a consacré une émission entière, fait rare, où les musiciens les plus cotés d’Irlande vinrent lui rendre hommage ; son premier album comportait d’ailleurs des noms aussi connus que Donal Lunny (producteur irlandais, ex-Planxty, ex-Moving Hearts), Adam Clayton (bassiste de U2), Mike Scott (ex-Waterboys), Liam O’Maonlai (pianiste et chanteur de Hothouse Flowers) etc. ; elle est également l’une des principales figures du disque « A Woman’s Heart », déjà cité. Ce n’est toutefois pas tant sa virtuos ité que son extrême popularité qui rend le personnage de Sharon Shannon aussi extraordinaire : si la médiatisation semble aujourd’hui plus aisée pour les musiciens traditionnels, rares sont ceux dont les albums atteignent les sommets des ventes de disques et de cassettes ; Sharon Shannon a donc le double mérite d’avoir percé à un très jeune âge là où bon nombre de ses prédécesseurs échouèrent, et d’avoir popularisé un instrument qui, répandu dans les zones rurales, gardait une image extrêmement négative, voire ringarde ; si les critiques soulignent le manque d’expérience et l’absence d’un véritable style personnel chez Sharon Shannon, nul doute qu’elle fera des émules et que les années à venir la sortiront de son isolement actuel.

Les autres instruments méritant d’être cités ici sont relativement peu nombreux : on notera essentiellement l’adoption du clavecin par quelques rares musiciennes, suivant en cela l’exemple de Seán Ó Riada qui voyait dans cet instrument une alternative à la harpe ; parmi elles Tríona Ní Dhomhnaill que l’on retrouvera principalement sur les disques du Bothy Band et de Relativity. Quant aux instruments tels que le bodhrán, le banjo ou la guitare, il nous serait bien difficile de citer le moindre exemple féminin marquant dont le nom pourrait servir d’exemple aux générations à venir. L’honnêteté oblige donc à reconnaître une disproportion certaine entre les pourcentages de musiciennes et de musiciens ayant obtenu une véritable reconnaissance auprès des médias, ces nouveaux et partiaux baromètres des univers musicaux.

En marge d’une expression musicale débarrassée de sa finalité sociale pour beaucoup, raison d’être de la musique traditionnelle pour les autres, la danse demeure l’une des activités favorites des irlandais ruraux durant les longues soirées d’hiver. Bénéficiant encore d’une grande popularité, les danses traditionnelles sont le plus souvent enseignées dans des clubs animés par le Comhaltas Ceoltóirí Éireann, dont nous avons parlé plus haut. Un pub, ou la maison d’amis bienveillants, servira souvent de refuge à ces danseurs que l’on retrouvera également dans de simples soirées dansantes entre amis, où seules les danses traditionnelles sont représentées.

L’un des aspects les plus frappants de ces danses traditionnelles, telles qu’elles sont présentées aujourd’hui, est sans aucun doute la beauté des costumes, principalement ceux des femmes. Il semble une fois de plus que ces costumes n’aient rien d’antique ou d’authentique, mais soient une pure création des enthousiastes de la fin du siècle dernier et du début du XXe siècle ; une telle remarque n’enlève toutefois rien à leur qualité, et nous nous empresserons de souligner une fois encore leur parfaite intégration au monde du spectacle en cette fin de XXe siècle.

L’évolution essentielle tient pourtant moins aux costumes qu’aux danseuses elles-mêmes, tant ces danses traditionnelles irlandaises furent longtemps un passe-temps principalement masculin. On y distingue généralement deux grands courants : les « step-dances » (utilisant des mélodies de hornpipes, reels et jigs, elles-mêmes plus anciennes) n’étant aucunement mentionnée dans la littérature du XVIIIe siècle, les spécialistes considèrent généralement qu’elles furent introduites en Irlande il y a deux cents ans. Dès leur apparition, seuls les hommes purent prétendre à la qualité de maître de danse, restriction vraisemblablement due au caractère ambulant de leur profession. Il faut peut-être voir dans cette dernière explication la principale justification à la complexité des figures des reels et des jigs effectuées par les hommes, les pas féminins étant restés confinés au simple et au léger ; les hornpipes, enfin, furent longtemps l’apanage des hommes en raison de l’énergie requise, quoique le comté de Cork ait fait exception à cette règle, les femmes y ayant accès depuis plus longtemps ; c’est toutefois au XXe siècle qu’intervinrent les mutations les plus notables dans le reste de l’Irlande : les femmes étant aujourd’hui les plus nombreuses dans la m ajorité des groupes de danse, elles sont également les plus nombreuses à effectuer les figures de pas en solo.

Les « set-dances », ou suites de danses adoptées des quadrilles continentaux en vogue durant les guerres napoléoniennes, furent introduites au milieu du XIXe siècle en Irlande ; adaptées aux mélodies et rythmes pré-existants par ces maîtres respectés et choyés, elles constituaient la seconde partie du savoir qu’ils transmettaient. Les figures y sont les mêmes pour tous et il n’est pas rare, aujourd’hui encore, d’assister à ce genre de soirées hivernales entre amis, véritables composantes de la vie sociale des régions rurales, pour peu que l’on sache où les trouver. Vie musicale et vie sociale sont donc absolument indissociables en Irlande, la première n’étant finalement qu’un reflet de la seconde. La musique instrumentale ne saurait pourtant exprimer à elle seule l’ensemble des aspirations d’un peuple, qu’il conviendra également de rechercher dans les textes de chansons héritées des siècles passés.

Parmi le vaste corps chanté de la musique traditionnelle irlandaise (le plus communément accessible aux femmes), j’ai cité en introduction les deux répertoires traditionnellement associés avec la gent féminine : les berceuses et les chants funèbres. Ces derniers (les caoineadhnte, d’où l’anglais keen), en gaélique pour la plupart, sont extrêmement nombreuses dans les chansons populaires, quel que soit le pays considéré. Nóirín Ní Riain, elle-même chanteuse et auteur de nombreuses études sur le sujet, fait remarquer que

Ces chansons ont un caractère essentiellement social, leur but étant d’être entendues et de susciter les réactions, ainsi que d’exprimer un sentiment profond de frustration personnelle.

Les chansons d’amour, que l’on retrouvera bien sûr dans cette catégorie, semblent avoir été fort nombreuses aux XVIIIe et XIXe siècles ; force sera pourtant de constater que la plupart des chansons du répertoire des pubs d’Irlande en cette fin de XXe siècle furent composées par des hommes sur les femmes : les chanteuses actuelles ne s’en formalisent d’ailleurs guère à l’heure du choix des chansons pour leur prochain disque, et il n’est pas rare d’entendre l’une d’entre elles louer allègrement la beauté d’une femme, voire la blancheur d’un sein, sans que personne s’en offusque dans un pays pourtant ultra-catholique. Une telle absence de choix fut d’ailleurs mise en évidence par Carmel Ó Boyle qui jugea nécessaire de publier un recueil uniquement composé de chansons écrites par des femmes pour des femmes, notant avec regret qu’ « autrefois, on encourageait plus les irlandaises à écouter qu’à chanter ».

Il ne semble donc pas que le répertoire fasse cruellement défaut, comme on serait tenté de le croire, mais plutôt que sa transmission ait été freinée, sinon interrompue.

Les berceuses faisaient (et font peut-être encore) partie des occupations quotidiennes des femmes ; bien que ce genre semble sous-représenté dans le corps des chansons irlandaises en gaélique (les berceuses en anglais étant le plus souvent importées de Grande-Bretagne), on y verra essentiellement une illustration supplémentaire des liens étroits qu’entretiennent chansons et vie sociale.

Contrairement aux trésors que nous a légués la tradition écossaise, nous n’avons que peu d’exemples irlandais de chansons de travail centrées sur les activités féminines, essentiellement constituées par le filage et le tissage (mais dont font également partie les berceuses, au dire des ethnologues). Ce sont généralement des chants extrêmement rythmés en raison de leur fonction d’entraînement à une activité répétitive de groupe. Composés et chantés pendant le travail de la laine, ils sont aisément reconnaissables à leur structure « chant-déchant » où le groupe répond à la voix principale, chaque membre de l’assemblée proposant à tour de rôle une phrase à répéter : ici comme en Ecosse, cette technique reste généralement associée aux femmes, alors qu’en Angleterre et en Bretagne elle fut principalement développée par les marins ; on en trouvera une trace supplémentaire dans le kan ha diskan des festoù-noz de Bretagne. La garde des troupeaux semble également avoir été une occupation réservée aux femmes sans, pour autant, en posséder les mêmes implications sociales : débarrassé de ses obligations rythmiques, ce type de chansons présente généralement des mélodies beaucoup plus travaillées et ornementées, car plus lentes.

Citons enfin les chants religieux, bien qu’ils soient peu nombreux pour des raisons évidentes liées à la répression du catholicisme. Parfois composés par des poètes connus et chantés sur des airs pré-existants, mais anonymes pour la plupart, ils se distinguent généralement par leur identification à la Vierge Marie, ce qui leur confère tantôt la qualité de berceuse, tantôt celle de lamentation. On retrouvera ici la distinction sociale déjà établie entre les chants à caractère congrégatif d’une part, et les prières psalmodiées, plus personnelles et plus intimes, d’autre part. Noirín Ní Riáin est sans nul doute la plus grande spécialiste des chansons à caractère religieux, dont on pourra retrouver des exemples sur ses albums enregistrés en compagnie des moines de l’abbaye de Glenstal.

Nombre de chanteuses ne recherchent cependant pas tant une telle spécialisation que la reconnaissance du public ; et les exemples ne manquent pas, certaines étant d’ailleurs connues au-delà de leurs frontières, quoique dans un public d’amateurs avertis, reconnaissons-le ; Mary Black en est une parfaite illustration, ses disques se vendant par dizaines de milliers depuis quelques années, chiffres énormes au regard de la population irlandaise. Dotée d’une voix extraordinaire, toutefois plus proche de la musique pop américaine que du traditionnel irlandais, elle fit ses débuts en 1982 dans un groupe malheureusement disparu, General Humbert. En 1984, elle choisit de s’orienter vers une carrière solo, mais participa à plusieurs albums et tournées du groupe Dé Danann en 1985 et 1986 avant de retourner définitivement à une liberté choisie, avec le succès que l’on sait. S’il est permis de déplorer son besoin d’une reconnaissance du grand public dans un style plus proche du rock-pop ou de la variété, avouons qu’une telle ouverture lui assure aujourd’hui une notoriété inégalée. Notons également que Frances Black, soeur de Mary, est l’une des chanteuses les plus appréciées en Irlande depuis son passage dans le groupe Arcady et, surtout, depuis son association musicale avec Kieran Goss. D’autres chanteuses issues de ce milieu traditionnel tentèrent également cette fusion du traditionnel et du pop, avec une moindre réussite : parmi elles Dolores Keane, également chanteuse de Dé Danann durant quelques années. Issue d’une famille extrêmement musicale (ses deux tantes Sarah et Rita Keane sont à l’Irlande ce que les soeurs Goadec furent à la Bretagne), Dolores Keane n’en demeure pas moins l’une des grandes figures féminines de la chanson en Irlande : ses premiers albums sont d’ailleurs de grandes réussites, sa voix trouvant sans do ute plus naturellement sa place au milieu des instruments acoustiques qu’électriques. Véritable pépinière de talents féminins, le groupe Dé Danann est également à l’origine de la découverte de deux grandes voix : Maura O’Connell, première chanteuse du groupe et résidant aujourd’hui à Nashville, n’a peut-être pas su gérer avec autant de bonheur sa carrière individuelle depuis 1983, bien que sa voix demeure superbe et que ses albums soient généralement de bonne facture ; Eleanor Shanley, petite dernière dans la longue lignée du groupe, présente, à l’instar de Mary Black, un timbre de voix plus international, démontrant sans doute par là la volonté du groupe d’aller chercher ailleurs la popularité et l’inspiration. Elle n’a toutefois pas été remplacée depuis son départ en février 1993. Cette volonté d’élargir son public potentiel, aujourd’hui courante dans ce pays de trois millions et demi d’habitants, est également celle de Rita Connolly, l’une des rares voix féminines d’Irlande à s’être mêlée conjointement à l a musique classique et à la musique traditionnelle. Découverte par le grand public dans des créations de Shaun Davey mêlant orchestre symphonique et instruments traditionnels, telles que « The Pilgrim » ou « Granuaile » - extraordinaire poème musical écrit pour elle et narrant la vie de Grace O’Malley, célèbre Reine-Pirate du XVIe siècle - son premier album solo tente la synthèse entre les Beatles, le blues et les chants de marins sans vraiment atteindre son but ; gageons qu’elle trouvera rapidement des mélodies - et surtout des arrangements - plus à la mesure de son talent et de sa voix.

Il est encore trop tôt pour dire si l’on doit s’étonner de l’ampleur d’une vague pop-rock submergeant sur son passage les derniers restes d’une expression chantée traditionnelle (pour preuve l’intérêt du public irlandais pour le concours de l’Eurovision, où les succès féminins de la République lassèrent les Irlandais eux-mêmes), ou s’il nous faut considérer avec admiration cette renaissance d’un mouvement musical féminin, dont le disque « A Woman’s Heart » , cité en introduction, semble être le témoignage le plus évident. Citons à ce propos, parmi les voix récemment arrivées dans les bacs des disquaires, celle d’Eleanor McEvoy, co-initiatrice de ce disque ; violoniste du RTE Symphony Orchestra, puis de Mary Black, ses choix actuels semblent la porter vers une carrière internationale : l’une des grandes chances de l’Irlande dans cette optique est sans nul doute ses liens privilégiés tissés avec les USA depuis bientôt deux siècles, tant par la communauté de langue que par le nombre d’irlandais y ayant élu domicile.

On retiendra donc, parmi les caractères essentiels de la chanson en Irlande aujourd’hui, sa popularité favorisée en grande partie par son adaptation à une nouvelle structure sociale, plus urbaine, ainsi que sa propagation par les médias, conséquence directe des progrès techniques du XXe siècle ; le lien longtemps primordial entre chant et activité sociale (chant de travail, chant funèbre etc.) apparaît, en effet, rompu depuis plusieurs décennies, sans pour autant le débarrasser de ses implications sociales, simple volonté de passer une soirée entre amis ou expression d’un sentiment.

On ne saurait donc faire croire à une génération spontanée de chanteuses irlandaises issues des mouvements musicaux et sociaux des années soixante et soixante-dix. En effet, si Tommy Makem fut, avec les frères Clancy, à l’origine du premier groupe (au sens moderne du terme) de musique irlandaise, trop de gens ignorent encore que sa mère, Sara Makem (de Keady, comté du Donegal), fut l’une des chanteuses les plus réputées d’Irlande, voire des îles britanniques : sa version de As I Roved Out servi longtemps d’indicatif à l’émission du même nom diffusée sur la BBC durant les années quarante et cinquante. Mary O’Hara fut également l’une des grandes figures de la chanson et des ballads durant les années soixante, et sa version de Ard dti Cuain fut l’indicatif d’une autre émission de la BBC. Notons également, dans le registre purement traditionnel du chant sean-nós (prononcer ‘chan-ne nosse’ ; en français ‘ancien style’), les noms de Máire Ní Dhomhnaill, soeur de Tríona, de Máire Ní Scolaí, de Áine Ní Ghallchobhair, de Máire Ní Dhonncha, de Sara Grealish, ainsi que de Sarah et Rita Keane, tantes de Dolores Keane et précédemment citées ; tous ces noms symbolisent aujourd’hui la somme colossale d’une tradition chantée acquise au fil des siècles, que très peu de chanteurs et chanteuses semblent être en mesure de transmettre, et que très peu de gens savent apprécier à sa juste valeur, mais dont l’influence reste extrêmement perceptible dans de nombreux groupes. Plus près de nous, Máire Brennan de Clannad offre ainsi un excellent exemple d’une voix capable de transmettre les émotions du sean-nós, mais également de se fondre dans un environnement musical plus moderne et plus électrique. Originaire du comté du Donegal, le groupe Clannad puisa d’abord son inspiration dans la musique traditionnelle en gaélique, puis en anglais. La len te évolution s’amorça à partir du début des années quatre-vingts, bien que les prémisses d’une fusion avec le rock-pop soient déjà perceptibles dans leur deuxième album. Il ne fait aucun doute que l’un des principaux atouts du groupe dans ce lent voyage vers la modernité fut la capacité d’adaptation, voire d’anticipation, de sa chanteuse. Elle reste sans conteste, au sein de Clannad ou en tant qu’artiste solo, l’une des principales voix du monde musical irlandais, ainsi que la figure de proue de l’un des rares groupes de musique irlandaise à stature internationale. Parmi les plus jeunes représentants d’un style proche du sean-nós, de jeunes groupes continuent de perpétrer cette tradition, dont les groupes Dervish (avec Cathy Jordan au chant), et Draíocht, de Tralee (et leur chanteuse Mary O’Regan) ; citons enfin Déanta, excellente formation d’Irlande du Nord presque exclusivement féminine qui possède en la personne de Mary Dillon l’une des chanteuses les plus douées de sa génération.

Le monde de la musique classique n’est malheureusement pas aussi propice à l’éclosion de talents connus et reconnus par le grand public ; on sait cependant qu’en Irlande comme dans le reste de l’Europe, la pratique d’un instrument fut chose courante pendant plusieurs siècles, bien que confinée au rang de passe-temps ou de complément essentiel à toute bonne éducation, principalement dans les plus hautes couches de la société. Cette vision particulièrement victorienne n’est pas sans répercussions sur le monde actuel de la musique classique : Mícheál Ó Suilleabháin, professeur à l’Université de Limerick, estime ainsi qu’elle est en Irlande la plus « féminisée » de toutes, citant en guise d’exemple les 85% d’étudiantes de la section musique de l’Université de Cork dont il fut longtemps l’âme. En outre, les deux orchestres de la Radio-Télévision irlandaise présentent, avec 42 femmes pour 88 musiciens au sein du National symphony Orchestra et 17 pour 44 au sein du RTE Concert Orchestra, une présence féminine plus élevée que la p lupart de leurs homologues européens. Il est pourtant notoire que les femmes sont moins attirées par la composition que les hommes, et rares sont les ensembles irlandais présentant des oeuvres de compositrices dans leur programme annuel ; Jane O’Leary, elle-même compositrice américaine résidant à Galway, et membre du directoire du National Concert Hall , explique pour sa part que

De nombreuses femmes furent obligées d’abandonner une carrière pourtant désirée parce qu’elles se mariaient. Les exigences de la composition sont extrêmes ; de longues périodes de solitude sont nécessaires. Le temps passé à élever des enfants est souvent considéré comme un simple intermède. Mais ce temps perdu signifie que la musique demeure pour les femmes une activité privée, et qu’elles l’imposeront avec d’autant plus de difficultés que la concurrence règne sur le marché artistique.

De telles considérations s’appliquent bien évidemment à l’Irlande, et notamment à Augusta Holmès (1847-1903), compositrice d’origine irlandaise particulièrement prolixe mais inconnue du grand public ; outre ses opéras, symphonies et pièces pour piano, elle composa quelques 130 chants patriotiques à la gloire de l’Irlande. Elizabeth Maconchy, née en Angleterre en 1907, fit ses études et vécut toute sa vie à Dublin : leurs oeuvres respectives restent superbement ignorées de la plupart des ensembles de musique classique de la République ; plus près de nous, Joan Trimble dut abandonner sa carrière de compositrice à 38 ans, considérant qu’elle n’avait pas le temps nécessaire pour s’y consacrer sérieusement : son opéra « Blind Raftery », commandé par la B.B.C., n’a jamais été joué en Irlande, et bien peu de gens ont entendu sa « Suite pour Cordes ». Elle a toutefois récemment reçu une commande du Ulster Orchestra et devrait ainsi revenir à son activité préférée, et bénéficier de nouveau des faveurs des médias.

Si le constat d’inégalité en matière de musique classique reste flagrant malgré la présence particulièrement importante de femmes dans ce milieu, l’attitude passive n’est plus de mise chez les musiciennes du monde entier. Devant l’indifférence manifestée par les médias et les ensembles de musique classique, l’affirmation de leur existence semble malheureusement devoir passer par les réseaux qu’elles ont créés sous forme d’associations d’édition, de congrès et de colloques organisés par la International League of Women Composers.

Malgré l’importance que peuvent revêtir la musique traditionnelle et la musique classique pour les Irlandais eux-mêmes, nul ne saurait nier l’immense crédit porté dans le monde aux musiciens irlandais issus des courants rock et pop. Outre les inévitables U2, aucun adepte de la musique électrique ne pourrait oublier Sinéad O’Connor, cette jeune rockeuse au crâne rasé initialement remarquée dans le groupe In Tua Nua, puis très brièvement dans les Ton Ton Macoute ; son premier album, « The Lion and the Cobra », est un prodigieux exemple de ce qu’une chanteuse peut exprimer à dix-neuf ans. Plus que de simples expressions musicales personnelles, ses disques sont souvent de véritables manifestes, en particulier « I Do Not Want What I Cannot Have » paru en 1989. Ses nombreuses prises de positions parfois peu nuancées (de sa vision de la société irlandaise actuelle à son refus de jouer devant le drapeau américain) lui valent souvent les foudres de bon nombre de ses concitoyens et la haine particulière des catholiques. Malgré ses airs de Bambi chaussé de Rangers, elle n’est sans doute pas l’idéal féminin dont certaines mères rêvent pour leur fille ; elle demeure cependant l’une des voix les plus fortes, sensuelles et émouvantes que le monde du rock ait produit depuis de nombreuses années, capable d’interpréter les musiques punks les plus sauvages et de reprendre sans rougir le célèbre « My Heart Belongs to Daddy » de Marilyn Monroe. Nul doute que sa récente décision de se faire plus discrète marque une étape importante de sa carrière.

Si l’une des grandes tendances musicales décrites précédemment confirme l’internationalisation, voire l’uniformisation des styles musicaux en Irlande, la volonté d’affirmer des opinions propres semble constituer un deuxième trait caractéristique des femmes s’exprimant dans la mouvance rock : Mary Coughlan est l’une des grandes voix de ce que l’on pourrait considérer comme la branche irlandaise du blues ; tardive débutante en matière musicale (à vingt-neuf ans et après un mariage raté), elle se tient aujourd’hui aux côtés de Sinead O’Connor pour dénoncer l’omniprésence de l’Eglise, manifester en faveur de l’avortement et soutenir les partisans de la légalisation du divorce. Elle fut l’une des grandes absentes du premier disque « A Woman’s Heart », considèrant d’ailleurs que Les gens qui achètent cet album ne veulent pas entendre parler de femmes enceintes, lavant les sous-vêtements de prêtres qui les ont sans doute mis dans cet état. Et ils ne veulent pas entendre de chansons leur expliquant à quel point mon pays est embourbé dans la tradition religieuse .

Sa participation au deuxième album de la série indique pourtant la rapidité d’évolution de la société irlandaise.

On comprend mieux, dans ce contexte, la distinction qui s’établit entre une musique à caractère commercial et ce qui reste une forme de militantisme, sans que cela se fasse nécessairement au détriment de la qualité dans les deux cas. Cette dichotomie ne résume pas, loin s’en faut, l’ensemble de la vie musicale irlandaise, bien qu’ici encore elle en démontre le profond enracinement dans la vie quotidienne : un tel article ne saurait prétendre à l’exhaustivité, mais il serait impardonnable d’oublier Enya, l’une des rares irlandaises de réputation internationale et soeur de Máire Brennan du groupe Clannad ; de son vrai nom Eithne Ní Bhraonáin, elle participa de 1980 à 1982 au groupe familial avant de devenir la principale représentante irlandaise de la tendance « rock-pop éthéré », au fil d’albums remarquablement produits ; on regrettera toutefois son absence de la scène, tant ses disques sont le fruit d’un long travail de studio sur les parties chantées.

Difficile également d’oublier les trois chanteuses du remarquable film de Alan Parker « The Commitments » décrivant les hauts et les bas d’un groupe rock du Dublin ouvrier, la « ville aux mille groupes » ; Angeline Ball, Brónagh Gallagher et Maria Doyle-Kennedy furent, durant quelques mois, les vedettes féminines de ce groupe rêvé si représentatif des centaines d’autres, réels ceux-là, qui hantent les pubs musicaux comme The Baggott Inn, The Purty Loft ou The Attic. Des trois, seule Maria Doyle-Kennedy semble avoir véritablement bénéficié de la vague d’enthousiasme musical soulevée par le film, bien que sa contribution au groupe The Black Velvet Band, dont elle fait partie depuis sa formation en 1984, semble malheureusement en-deça des capacités réelles d’une chanteuse au timbre profondément émouvant. Citons également parmi les noms les plus prometteurs de la scène musicale irlandaise Suzan Rhatigan dont l’énergie du premier album ne semble pas, à ce jour, avoir convaincu les Irlandais, malgré une qualité évidente ; Maighread Medbh, jeune poète convertie à la forme la plus récente du rock, le rap, et peu favorisée par les médias ; le groupe Chimera de Belfast, et sa chanteuse Eileen Henry ; the Forget-Me-Nots de Dublin, avec Eithne Flynn et Michelle Burrowes au chant ; mais la principale découverte de ces denières années restera sans conteste Dolores O’Riordan, chanteuse des Cranberries dont l’explosion sur les marchés américain puis européens peut laisser présager une longue suite.

Ce qui, en définitive, distingue la scène musicale dublinoise actuelle est, de façon presque surprenante, cette absence de groupes foncièrement féministes, à l’inverse de Londres qui vit récemment naître le mouvement des « Riot Grrrls », démarche agressive et malheureusement peu musicale de musiciennes cherchant à se faire accepter dans les milieux musicaux masculins.

S’il n’est un secret pour personne que les musiciens traditionnels, classiques et rock ont longtemps vu d’un mauvais oeil la présence de femmes dans leurs rangs, une telle attitude tend aujourd’hui à s’estomper. Nul ne saurait nier qu’elles demeurent moins nombreuses à jouer du uillean pipes ou de la batterie, voire à composer ; mais on aurait également tort d’ignorer les formidables avancées des dernières décennies : la musique traditionnelle, éminemment masculine jusqu’au XVIIe siècle et que l’on crut longtemps figée, bénéficia sans nul doute des mutations subies au cours du XXe siècle en les intégrant. Le rock, en théorie la plus machiste des musiques, ne résista pas à l’engouement du public de tous âges et de tous sexes : il suffira de consulter les pages de Hot Press (magazine politico-musical de l’Irlande jeune et frondeuse) au fil des dernières années pour mesurer l’ampleur du bouleversement. Seule la musique classique semble encore résister à toute mutation, malgré l’étonnante présence de femmes dans ses ensembles. Doit-on y voir un effet du trop grand décalage qu’elle entre tient avec la réalité quotidienne des Irlandais, ainsi qu’une incapacité à s’y adapter ? Doit-on établir une distinction entre les musiques vivantes, car étroitement liées à leur environnement, et les musiques plus figées, enfermées dans un carcan que les musiciennes et les musiciens les plus novateurs ne parviennent pas à faire éclater ? Tout porte malheureusement à le croire, et cette étude n’en est qu’un exemple parmi d’autres.

Seule importerait, en définitive, la réponse à la plus simple des questions : d’où provient cette légende affirmant que les femmes ne sont pas aptes à créer ? Contrairement aux idées reçues, les musiciennes, compositrices et interprètes ont joué un rôle essentiel dans l’évolution musicale en Irlande, indéniablement atténué par une bien piètre reconnaissance de l’histoire officielle et des médias.


copyright E. Falc'her


(TRES) COURTE DISCOGRAPHIE

- ALTAN, Island Angel, Green Linnet GL1137.
La voix et le violon de Máiread Ní Mhaonaigh hantent ce disque du groupe phare des années quatre-vingt dix dont elle est la co-fondatrice.(1993)

- MARY BLACK, Collected, Dara 010.
Une compilation de ses meilleures contributions traditionnelles, avant qu’elle n’opte pour une carrière plus pop-rock. Un très beau disque.(1984)

- CLANNAD, Magical Ring, Tara 3010.
Un album « charnière » et l’une des grandes références du groupe, dans une discographie extrêmement prolifique.(1983)

- COLLECTIF, A Woman’s Heart, Dara-RTE, DARTE158.
Premier d’une série dont l’intérêt réside plus dans sa formidable notoriété depuis sa sortie en Irlande que dans une réelle expression féminine. Un phénomène de société. (1991)

- MARY COUGHLAN, Under the Influence, WEA, WE381.
Excellent pop-rock, paroles intelligentes et voix profonde d’une chanteuse de Galway dont les déclarations tonitruantes menacèrent d’éclipser la qualité du travail.. (1987)

- SHAUN DAVEY, Granuaile, Tara 3017.
Où la voix de Rita Connolly s’épanouit entre un orchestre de chambre et le uilleann pipes de Liam O’Flynn. (1984)

- DÉANTA, Waiting for the Storm, Green Linnet records, GL1147.
Un deuxième disque qui en laisse espérer beaucoup d’autres aussi émouvants entre la voix de Mary Dillon et la flûte de Deirdre Havlin. (1994)

- DORDÁN, Irish Traditional & Baroque, Gael-Linn CEF150.
Mary Bergin (tin whistle), Kathleen Loughnane (harpe) et Dearbhaill Standún (fiddle) dans une ambiance mélant avec réussite le baroque et la musique traditionnelle. (1991)

- ENYA, The Celts, BBC605.
Pour son premier disque solo, Enya mêlait, pour un documentaire de la BBC, synthétiseurs et instruments acoustiques (piano, uilleann pipes...) dans le calme et la sérénité (1987).

- DOLORES KEANE, There Was A Maid, Claddagh CC23.
Chanteuse traditionnelle de la région de Galway, ce premier disque reste l’un de ses meilleurs, car fortement ancrée dans un genre qu’elle domine bien.

- MÁIRE NÍ CHATHASAIGH, The Carolan’s Albums, Old Bridge OBM06.
Un disque comprenant les principales compositions du célèbre harpeur ; beaucoup de sobriété et plus d’une heure de musique. Une belle réussite (1991 / 1994).

- MÁIRE-ÁINE NÍ DHONNCHADHA, Deora Aille, Claddagh CC6.
Un des plus beaux albums de seán-nos jamais enregistrés, par l’une des plus grandes voix de ce style (1970).

- NÓIRÍN NÍ RIÁIN, Caoíneadh na Maighdine, Gael Linn CEFO84.
Avec les moines de Glenstal, un modèle du genre « chant religieux » où toutes les catégories de chansons sont représentées, en latin, irlandais et anglais (1980).

- SINÉAD O’CONNOR, I Do Not Want What I Haven’t Got, Ensign.
Talent précoce, Sinead O’Connor nous offre ici l’un de ses disques les plus rebelles et les mieux finis, du rock sauvage au romantisme symphonique. Merveilleux (1987).

- SHARON SHANNON, Sharon Shannon, Solid RO8.
Premier album de cette jeune accordéoniste, véritable phénomène depuis 1990, avec des instrumentaux traditionnels irlandais, portugais, québécois etc (1991).

- GRÁINNE YEATS, The Belfast Harp Festival, Gael-Linn CEF156.
Double compilation évoquant le dernier grand concours de harpeurs (en 1792) et O’Carolan, harpeur et compositeur aveugle des XVIIe et XVIIIe siècles (1981).




BIBLIOGRAPHIE


- BARILLON-BAUCHE P., Augusta Holmès et la Femme Compositeur, Paris, 1912.
- BREATHNACH Breandán, Folk Music and Dances of Ireland, Cork, The Mercier Press, 1971.
- CAROLAN Nicholas, A Short Discography of Irish Folk Music, Dublin, Folk Music Society of Dublin, 1987.
- CLAYTON-LEA Tony & TAYLOR Richie, Irish Rock, Londres, Sidgwick & Jackson, 1992.
- COHEN Aaron., International Encyclopedia of Women Composers, New York, Londres, 1981.
- COLLECTIF, Femmes et Musiques, Action Musicale N° 18/19, Paris, Mouvement d’Action Musicale, 1983.
- DRINKER S., Music and Women : the Story of Women in their Relation to Music, Washington D.C., 1977.
- NÍ RIAIN Nóirín, « The Female Song in the Irish Tradition », in Eiléan Ní Chuilleanáin dir., Irish Women : Image and Achievement, Dublin, Arlen House, 1985.
- O’CONNOR Nuala, Bringing It All Back Home, Londres, BBC Books, 1991.
- O’NEILL Francis, Irish Minstrels and Musicians, Cork, The Mercier Press, 1987.
- SHIELDS Hugh, A Short Bibliography in Irish Folk Song, Dublin, Folk Music Society of Dublin, 1985.

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